Silvina González-Rizzo, maître de conférences à l’Université des Antilles
22 novembre 2022
Silvina González-Rizzo, maître de conférences à l’Université des Antilles (Pointe-à-Pitre, Guadeloupe) et membre du Réseau Recherche France-Mexique, fait partie d’une équipe internationale de chercheurs qui a découvert une bactérie visible à l’œil nu dans une mangrove, en Guadeloupe.
Dans cet entretien, elle évoque cette découverte, mais aussi la façon dont elle envisage la coopération universitaire et scientifique entre le Mexique et la Guadeloupe.
- Quel a été votre parcours ?
“J’ai d’abord obtenu une Licence en biologie à l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM). Grâce à la bourse CONACyT, j’ai ensuite passé un Diplôme d’études approfondies (DEA)[1] et fait ma thèse de doctorat à l’Université de Paris 11[2]. Par la suite, j’ai réalisé un premier post doctorat dans le même domaine d’études à l’Iowa State University, aux États-Unis, suivi d’un second post doctorat à l’Université des Antilles, où j’ai obtenu au terme de celui-ci un poste permanent de maître de conférence en 2010.”
- Pourquoi avez-vous choisi la France pour vos études supérieures ?
“Pour commencer, lorsque j’étais étudiante, j’aimais la langue française, que j’avais un peu étudiée au lycée. De plus, lorsque j’ai réalisé ma thèse de premier cycle sur l’interaction plantes-bactéries au sein du laboratoire de la Dre Esperanza Martínez-Romero – qui s’est d’ailleurs vue décerner le prix L’Oréal-Unesco “Women in Science” en 2020 – je lui ai fait part de mon intention de faire un doctorat dans le même domaine de recherche et elle m’a suggéré de postuler auprès de l’un des principaux laboratoires dans ce domaine, situé à Paris.
En réalité, je voulais partir à l’étranger; je me rendais déjà compte de l’importance que cela représentait sur un cursus universitaire – on était un peu formaté à l’époque – mais avec cette idée de regagner ensuite mon pays d’origine.
J’ai postulé à la bourse CONACyT, que j’ai obtenue, puis j’ai eu la chance incroyable de faire un doctorat avec deux chercheurs (il s’agissait d’une co-direction) qui m’ont très bien formé, au sein d’une structure excellente.”
- Pourriez-vous nous parler du projet de recherche auquel vous avez participé ?
“Bien sûr, mais j’aimerais d’abord replacer ce projet dans son contexte. Au cours de ma carrière scientifique, j’ai eu l’occasion de travailler avec différents modèles d’étude, des plantes, des animaux et maintenant des bactéries. Bien que j’ai étudié des choses très différentes, il y a toujours eu un dénominateur commun, qui est celui de comprendre quels sont les mécanismes moléculaires d’un organisme pour s’adapter à son milieu, à son environnement.
Actuellement, mon projet de recherche porte sur la diversité des micro-organismes vivant dans l’écosystème des mangroves, et en particulier sur les bactéries géantes qui vivent dans cet écosystème. Lorsque je suis arrivée au laboratoire, l’équipe avait trouvé un très long filament, de la taille d’un cil, mais elle n’avait pas encore identifié de quel type d’organisme il s’agissait. J’ai ainsi participé à l’identification moléculaire de cet organisme, et nous avons découvert avec surprise qu’il s’agissait d’une bactérie géante. En raison de la grande taille de sa cellule, qui peut atteindre 2 cm de long, mais surtout de la présence d‘organites fixés à la membrane où se trouve le matériel génétique, elle peut être considérée comme la première et la seule bactérie à ce jour à avoir cette capacité, remettant ainsi en question le concept de cellule bactérienne. Cette bactérie, appelée Thiomargarita magnifica, rejoint la liste des bactéries qui ont évolué vers un niveau de complexité supérieur. Pour vous donner une idée de sa taille, c’est comme si un humain de taille normale rencontrait un humain de la taille du Mont Everest.
Elle possède des caractéristiques inhabituelles, comme la taille de son génome qui est pratiquement la même que celle de la levure, et cache encore de nombreuses surprises. Cette bactérie est visible à l’œil nu ; vous pouvez la voir et la saisir avec une pince à épiler. Les résultats de l’étude que nous avons mené ont suscité un grand intérêt auprès de la communauté scientifique et ont été publiés dans la revue Science.
En outre, la découverte de cette bactérie laisse penser que d’autres bactéries géantes et complexes pourraient être “cachées” à l’œil nu.
En parallèle, je suis impliquée dans un autre projet de recherche, en collaboration avec l’Institut de biotechnologie de l’UNAM à Cuernavaca, sur un autre type de bactéries géantes qui forme des tapis microbiens à la surface des sédiments marins de la mangrove de Guadeloupe. Dans le cadre de ce travail, nous cherchons à savoir si les tapis microbiens peuvent servir de bioindicateurs de la santé et de l’équilibre de cet écosystème, puisque leur formation est apparemment liée à un gradient d’anthropisation.”
- Selon vous, quel rôle a joué la coopération internationale dans le cadre de cette découverte ?
“Dans cette découverte, la coopération scientifique a joué un rôle essentiel puisqu’elle a permis de publier nos travaux dans l’une des revues les plus importantes au niveau scientifique. Des chercheurs français basés aux États-Unis et à Paris ont participé. En fait, vingt chercheurs de huit nationalités différentes ont été impliqués dans ce projet. Sa dimension multidisciplinaire et multinationale a considérablement enrichi cette découverte.
De manière générale, je pense que les collaborations scientifiques internationales sont fondamentales pour pouvoir élaborer ou amplifier certains projets, car elles nous permettent d’avoir une vision plus large et multidisciplinaire d’un sujet de recherche. C’est aussi une façon de montrer que nous n’avons pas tout à tous les endroits, qu’il y a d’autres choses à d’autres endroits, et qu’il est donc important d’échanger nos compétences. Ce type de projet nous permet non seulement de combiner des outils scientifiques, mais aussi de renforcer les capacités de chaque lieu.
Il convient également de mentionner que ces collaborations internationales sont déterminantes pour que certains projets puissent voir le jour, du fait des inégalités entre institutions en termes de ressources et d’accès à certaines technologies de pointe.”
- Comment percevez-vous le potentiel de coopération entre le Mexique et la Guadeloupe ?
“Le potentiel est énorme mais, pour l’instant, je dirais qu’il n’y a pas beaucoup de collaboration, ou du moins qu’elle n’a pas été formalisée sur la base d’accords. Le nouveau président de l’Université des Antilles, élu en février dernier, a déclaré dans un communiqué qu’il souhaitait promouvoir la coopération scientifique avec les établissements des pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Je suis très enthousiaste à ce sujet, car je pense que le Mexique et la Guadeloupe partagent des problématiques communes; de ce fait, les échanges scientifiques et universitaires devraient être encouragés davantage. Par exemple, nous avons des écosystèmes tropicaux comme les mangroves, les récifs coralliens et d’autres problèmes environnementaux communs, comme les sargasses, pour n’en citer que quelques-uns.
Cela représente une opportunité de générer des liens beaucoup plus forts entre les universités mexicaines et l’Université des Antilles, qui est une université française, mais à taille humaine et qui dispose d’outils intéressants, ainsi que d’un accès aux financements de l’Union européenne. En ce sens, il serait pertinent de construire des ponts qui, pour l’instant, me semblent ne pas exister pleinement. Et le fait de mettre en place un réseau, comme le Réseau Recherche France-Mexique, me semble essentiel pour cela, car ces liens sont en réalité déjà structurés et peuvent faire office de passerelles pour se connecter ensuite d’un point de vue administratif.”
Entretien réalisé par Morgane Uzenat le 20 juillet 2022
[1] Le diplôme d’études approfondies (DEA) est un ancien diplôme universitaire délivré en France entre 1964 et les années 2000. Il équivaut aujourd’hui à une deuxième année de master.
[2] L’Université Paris-Sud ou Paris-XI est une université créée en 1971. Elle disparaît en 2020 au profit de l’Université Paris-Saclay.