Jacques Gelas est professeur émérite des universités et coordonnateur français des programmes FITEC (France, Ingénieurs, TEChnologie) qu’il a créé et mis en place avec les ministères français et des trois pays concernés (Argentine, Brésil et Mexique) avec le concours des établissements de formation d’ingénieurs (écoles françaises d’ingénieurs et universités argentines, brésiliennes et mexicaines). Il a accordé un entretien à la MUFRAMEX afin de présenter les programmes FITEC et les principaux enjeux auxquels ils répondent :

 

“Au cours des années où j’étais directeur de l’Ecole nationale de chimie de Clermont-Ferrand (ENSCCF), le président de la CDEFI[1] m’avait sollicité pour développer les actions internationales, dans le cadre de la Délégation aux affaires internationales de cette conférence créée à cette occasion.
En 1997 au Brésil, l’agence gouvernementale qui rassemble les actions internationales, la CAPES[2], a sollicité trois pays à travers le monde afin qu’ils acceptent d’accueillir pour une année de formation des élèves ingénieurs brésiliens sélectionnés au préalable dans les universités brésiliennes sous la responsabilité de cette institution.

Sur cette affaire brésilienne, il m’est apparu qu’il fallait agir de façon groupée et nous avons ainsi rassemblé un réseau d’écoles d’ingénieurs qui ont accepté de participer à cette opération. Cette expérience a permis de comprendre qu’il était fondamental de travailler en lien direct avec les universités brésiliennes. Dès la deuxième année, cette initiative, prévue pour une durée de trois ans, a révélé l’importance de concevoir un programme en partenariat. D’ailleurs, les établissements avec lesquels nous travaillons sont toujours très sensibles au fait qu’il ne faut pas les considérer comme étant des établissements et des collègues qui ne sont pas partenaires et à qui nous allons tout apprendre. Il faut absolument arriver à comprendre que nous sommes bel et bien partenaires et que nous pouvons développer des choses en commun. Bien sûr, chaque programme dépend de la capacité de l’établissement d’être réellement de niveau comparable. À ce titre, il ne faut pas hésiter à considérer que certains partenariats ne sont pas en adéquation avec le niveau, qui doit être un niveau comparable. Je me souviens de la fois où nous étions réunis avec un ami brésilien pour déterminer l’appellation du programme. Cet ami brésilien a proposé BRAF puis d’y ajouter le terme « technologie », de sorte que cela donne « BRAFTEC ». Je lui ai répondu qu’étant donné qu’il s’agissait d’un programme qui, aussi bien en France qu’au Brésil, visait les écoles d’ingénieurs, nous pourrions ajouter un « i ». C’est ainsi qu’est né le programme BRAFITEC et que nous avons considéré qu’il s’agissait du premier programme FITEC.”

[1] Conférence des Directeurs des Ecoles Françaises d’Ingénieurs
[2] Fundação Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior (Coordination pour le perfectionnement des personnels du niveau supérieur, CAPES, de son acronyme en français)

 

  • Quelles sont les caractéristiques principales de ce programme ?

“La première caractéristique est qu’il s’agit de programmes bilatéraux entre des établissements de niveau comparable qui envisagent une formation n’étant pas forcément diplômante au départ. Rappelons que pour obtenir le diplôme d’ingénieur, il faut être placé sous la responsabilité de l’école française d’ingénieurs accréditée par la Commission des titres d’ingénieurs durant deux ans. Ces deux années peuvent comprendre trois semestres qui sont effectivement en partenariat mais sous la responsabilité de l’école française, avec la contribution du partenaire étranger. Le quatrième semestre peut être consacré au projet de fin d’études passé en entreprise et, auquel cas, même si le financement de ces programmes est assuré par les deux pays, ce financement ne permet pas forcément d’arriver jusqu’au diplôme ou à la double diplomation.”

 

  • Et concrètement, comment ce programme fonctionne-t-il ?

“Les partenaires déposent des projets à la suite de la publication d’un appel à projets rédigé par les deux parties. Pour la partie française, le comité de pilotage est composé de représentants du MEAE[1] et du MESR[2], qui nomment un coordonnateur français en concertation avec la CDEFI. Le financement est apporté annuellement par des subventions des ministères. L’utilisation de ces subventions porte essentiellement sur des aides à la mobilité accordée aux élèves ingénieurs, par l’intermédiaire des écoles concernées.

Bien entendu, les écoles françaises impliquées consacrent une part essentielle du financement sur leurs budgets propres pour le développement du programme auquel les entreprises participent en offrant des stages intégrés dans la formation. Il est important de souligner que chaque année un bilan des activités est demandé aux écoles afin qu’un rapport global soit remis aux ministères par le coordonnateur et constitue un « suivi » du programme dont une synthèse est présentée au cours d’une assemblée générale annuelle des responsables des projets en fonctionnement.

Le programme BRAFITEC a été un succès. Lorsqu’il est apparu que le programme FITEC était adaptable à d’autres pays d’Amérique Latine, nous avons rapidement été sollicités pour élaborer un programme FITEC en partenariat avec le Mexique et l’Argentine, donnant naissance à MEXFITEC et ARFITEC.

Le programme MEXFITEC a émergé simultanément avec la vision de développer les relations entre les formations technologiques françaises et mexicaines. Au cours de l’année 2001, la France a été sollicitée par le Mexique et réciproquement pour s’accorder sur le développement de formations dans les domaines techniques, scientifiques et professionnels. En 2002, les deux gouvernements ont signé un accord ayant pour objectif le développement de relations bilatérales entre les formations d’ingénieurs et les formations techniques. Ainsi les écoles d’ingénieurs et les Instituts universitaires de technologies (IUT) français ont été respectivement sollicités et les programmes MEXFITEC et MEXPROTEC ont été créés.

La création officielle de MEXFITEC a été entérinée par un accord signé le 5 juin 2008, après une expérimentation de 7 années successives de formation, période intitulée pré-MEXFITEC, qui nous a permis, français et mexicains, de voir murir un certain nombre d’éléments. En effet, il s’agissait encore de convaincre les établissements mexicains et, durant plusieurs années, une délégation française s’est rendue dans une trentaine d’universités directement intéressées par le programme.

J’ajouterai que MEXFITEC est un programme bâti volontairement sur la base de la bilatéralité, du partenariat et du développement des relations et des appels à projets, ce qui permet d’avoir une réponse coordonnée. Un élément très important de développement des programmes FITEC réside dans l’organisation de forums lesquels ont connu un succès croissant jusqu’à la pandémie.

Mobiliser aujourd’hui les étudiants des écoles françaises pour partir au Mexique n’est pas tout à fait simple. Il y a eu un développement extraordinaire au cours des vingt dernières années pour des programmes internationaux de tout type, et nos élèves ingénieurs constituent un « vivier » de taille limitée soumis à de fortes sollicitations de la part de nombreux pays dont l’offre souffre parfois d’éléments extérieurs à la formation. Enfin, des circonstances inattendues peuvent intervenir brutalement et chacun observe que la pandémie bouleverse beaucoup de stratégies.

De ce fait, le programme MEXFITEC qui connaissait un bon développement qualitatif et quantitatif doit aujourd’hui faire face à une situation difficile. Toutefois, la vertu des programmes FITEC est d’avoir une souplesse et une forte capacité pour trouver des solutions aux exigences que nous pouvons rencontrer, grâce au fait que les collègues sont devenus des partenaires qui ont construit et consolident en permanence des relations sur la base d’une confiance mutuelle, dont l’un des pivots demeure les forums qui, jusqu’à l’arrivée de la pandémie, rassemblaient tous les responsables de projets et bien au-delà. Le forum qui s’est tenu à Bayonne en 2018 est le dernier qui a eu lieu en France.

La perte de ces deux journées, créant un lien fort entre les participants et assurant une continuité malgré les roulements de postes, sera temporaire, je l’espère.

Pour conclure, observons qu’au-delà de la seule formation d’élèves-ingénieurs mexicains et français dans un programme qui serait prétendument limité à la seule mobilité étudiante, le programme MEXFITEC est un creuset de relations entre enseignants-chercheurs désireux d’enrichir leurs méthodes d’enseignement, d’élargir les échanges vers des processus de bidiplômation et de prolonger leurs collaborations vers la recherche et l’innovation.

Les années 2022 et 2023 seront décisives pour relancer une dynamique entravée par la pandémie. En toute hypothèse, les liens créés et développés entre des établissements mexicains et français, formant des ingénieurs dont nos deux pays ont besoin, demeureront.”

[1] Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français
[2] Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche

Entretien réalisé par Morgane Uzenat le 7 juillet 2022